Côte ouest de Béjaïa : Béton et pollution à l’assaut d’une belle nature


La route de la côte ouest de Béjaïa est toute en boucles et en lacets. On peut y admirer un beau paysage de mer et de montagne joliment entrelacés à chaque détour et découvrir une décharge sauvage à chaque virage. Le contraste est frappant entre l’œuvre sublime de la nature et celle avilissante de l’homme.

Des monticules de sacs-poubelle éventrés étalent avec insolence leurs ordures malodorantes et des monceaux de bouteilles et de canettes de bière parsèment la route. Comme un fait exprès ou une tradition locale pour souhaiter la bienvenue aux nombreux visiteurs de passage et aux estivants qui ont choisi d’y passer leurs vacances.

Lorsque la beauté de la nature vous fait penser à la Grèce ou à l’Italie, la pollution vous rappelle à chaque instant que vous êtes bel et bien en Algérie. L’un des pays les plus sales au monde. Des essaims de mouches tourbillonnantes et bourdonnantes assaillent celui qui fait une halte pour jeter un coup d’œil curieux ou admiratif sur la succession de criques et de plages qui court d’est en ouest. Bienvenue sur la côte ouest de Béjaïa.

En quelques années, le béton, les incendies, l’incivisme et la pollution ont fini de défigurer l’une des plus belles régions d’Algérie et de Méditerranée. Chaque été, les incendies réduisent en cendres les belles forêts qui ornent les montagnes, laissant place à des promotions immobilières, des villages de vacances, des immeubles et des villas qui courent le long de la côte, ou partent à l’assaut des montagnes. Sur la côte ouest, s’il y a peu d’estivants, il y a par contre beaucoup de nouveaux résidents.

Première halte. La plage se dessine en parfait demi-cercle, dont l’extrêmité se perd à l’horizon entre le bleu de l’azur et celui de la mer. Quelques adultes et des grappes d’enfants barbotent dans les eaux claires à peine troublées par la légère houle.

Dans la célèbre station balnéaire de Boulimat, les clients se font tellement rares que les gardiens de parking se les arrachent littéralement, comme les rabatteurs des restaurants d’El Yachir. A 100 dinars la place de parking, c’est une question de survie et la saison estivale dure si peu. C’est le cas aussi des loueurs de tables et parasols à l’affût de l’estivant. «Je vous fais la table à 4 chaises et le parasol à 500 dinars. C’est donné monsieur !», nous lance un plagiste.

Route souvent coupée

Une forêt de tables ornées de parasols et encombrées de chaises en plastique occupe la plage sur toute sa longueur et sa largeur. Les vagues viennent lécher les pieds des dernières rangées, là où les pédalos pour location occupent le reste de l’espace. L’estivant qui débarque seul ou en famille n’a aucune chance de trouver le moindre mètre carré de sable ou planter son parasol. Il n’a d’autre choix que de louer ou de s’installer loin derrière la haie de tables et de chaises.

Dans cette populaire ville balnéaire à l’ouest de Béjaïa, on a rarement une saison estivale aussi morose. C’est du moins l’avis de Moh, barman, qui a vu des générations de clients s’attabler derrière son comptoir.

Bâti sur les rochers au bout de la plage, son établissement est désespérément vide. Pas un seul client ! «C’est la crise ! Les gens sont très près de leurs sous. Il y a eu le Ramadhan, puis l’Aïd, et là, dans quelques jours, l’autre fête de l’Aïd, sans compter que la route est encore fermée aujourd’hui…», peste Moh.

En ce mercredi 31 juillet 2019, la circulation est très fluide sur la RN 24, car les habitants d’un quartier des hauteurs de la ville de Béjaïa ont encore coupé la route à la circulation pour des raisons qu’eux seuls connaissent.

Et comme tous les quartiers et tous les villages ont beaucoup de problèmes liés au développement, les routes sont souvent coupées pour réclamer des solutions qui ne viennent jamais à des problèmes qui refusent de partir. Couper la route est devenu un sport populaire qui se pratique au quotidien à travers toute la wilaya de Béjaïa.

Dans les années 1970, Boulimat n’était qu’un lieu-dit inhabité, qui n’attirait qu’une poignée de campeurs téméraires et amoureux de la nature sauvage. L’endroit s’appelait initialement «Tigzirt n Djerba», l’île de Djerba, avant de prendre celui de Boulimat, nom d’un coopérant allemand qui s’était installé là, selon des informations glanées auprès des habitants.

Les lieux étaient surtout connus pour le pittoresque îlot hérissé de cactus que l’on peut admirer au loin. «Nizla», ou l’«île des Pisans», comme on l’appelle, abrite la légende du sultan hammadite Moulay Ennacer, le fondateur de la ville de Béjaïa, qui avait déménagé la capitale de son royaume de la plaine du Hodna vers les montagnes de Kabylie. Cette légende raconte que ce puissant sultan, qui avait bâti une capitale ornée de jardins luxuriants et de palais somptueux, aurait fini sa vie en anachorète sur ce rocher isolé, battu par les vagues et les vents, méditant sur la vanité des choses et l’absurdité de la vie.

L’autre caractéristique de la côte ouest est sa route complètement défoncée et affaissée. Certaines sections ont été refaites, alors que d’autres attendent le bon vouloir des pouvoirs publics. Ammi Omar, un sexagénaire de Tighremt, a sa propre idée sur la cause de cette route qui n’arrête pas de se dégrader. «C’est le poids des camions et celui des habitations.

Quand on a commencé à construire les ports de Tala Yilef, Beni Ksila et Azzefoun, des dizaines de camions surchargés passaient quotidiennement par cette route. Ajoutez à cela le poids de ces bâtisses et immeubles construits de part et d’autre de la route et vous comprendrez pourquoi la route n’en finit pas de s’affaisser», dit-il.

«Accès privé»

Tout le long de la route, les petites localités ont été envahies par le béton. Le cas de Aach El Vaz, où des carcasses d’immeubles et des résidences de luxe partent à l’assaut des flancs de montagne jusqu’au sommet, est symptomatique. Aach El Vaz est devenu en quelques années plus proche de l’élevage du poulet en batterie que du nid d’aigle dont il porte littéralement le nom. C’est le cas à Imesmouden, Saket, Tala Yilef, Tighremt, l’Auberge de Thaïs, Oued Das, etc. Certains accès à la plage portent une grosse pancarte sur laquelle il est écrit  «Accès privé. Défense d’entrer».

Des résidences avec garages, ascenseurs, piscines et toutes les commodités ont poussé comme des champignons après l’averse, et se négocient à des prix qui donnent le tournis. Les acquéreurs viennent de toutes les régions du pays, mais aussi des communautés immigrées en France ou ailleurs.

L’un des plus gros problèmes que rencontrent les habitants de la région, outre le ramassage des ordures ménagères, est l’alimentation en eau potable. Une noria de camions-citernes sillonne les routes à longueur de journée pour alimenter collectivités et particuliers. «Cela nous coûte 1200 dinars la citerne de 2000 litres et l’eau n’est même pas potable. Elle est tout juste bonne pour les usages domestiques», dit Hamid, un jeune habitant de Saket, qui tient un fast-food sur le bord de la route.

Le petit village de Tighremt s’étire désormais sur des kilomètres en villas de luxe et en résidences de grand standing. Beaucoup de constructions dites «pieds dans l’eau» piétinent allégrement sur le domaine maritime. Alors que d’autres sont tellement énormes qu’on se demande comment les responsables chargés de la gestion urbanistique ont autorisé de tels immeubles dans des lieux aussi fragiles.

Tout le long de la route, des commerces multiples, supérettes, restaurants et cafétérias se sont installés, attendant la clientèle de passage.
Installés dans leurs barques, deux pêcheurs déroulent les nasses de leurs filets dans lesquels sont accrochés quelques poissons fraîchement pêchés.

Nous sommes au petit port de Tala Yilef, littéralement la source du sanglier, une petite crique devenue en quelques années un port de pêche et de plaisance. Il faut payer 50 dinars de droits d’accès. Les bateaux de plaisance sont aussi nombreux que les barques de pêche dont le produit ravitaille les pêcheries locales et les restaurants de la région. «Nous attendons toujours que le port soit fini», dit l’un des pêcheurs.

Sur la plage de Oued Das, il y a très peu d’estivants. Quelques familles et des petits groupes de jeunes sous leurs tentes. En général, c’est le soir que les amateurs de plage arrivent en familles ou en groupes d’amis.

Les vrais connaisseurs des lieux savent encore trouver la petite crique isolée ou la petite plage abritée des regards et difficile d’accès. Celle que la foule, le béton, les sachets en plastique et les bouteilles de bière n’ont pas défigurée. En attendant qu’elle connaisse le même sort que toutes les autres…

Sources : https://www.elwatan.com/regions/kabylie/bejaia/cote-ouest-de-bejaia-beton-et-pollution-a-lassaut-dune-belle-nature-06-08-2019

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