Ce reportage de notre confrère le Huffington Post Algérie
décrit le premier jour de la navette maritime entre le Port d’Alger et
le Port de la Madrague. Il faudra visiblement un peu de temps pour que
les Algérois s’habituent à ce moyen de transport maritime à l’intérieur
des limites de la capitale.
"Et si on allait à la Madrague par mer?". De
nombreux algérois ont eu la même idée, mardi, au lendemain de
l'inauguration en grande pompe, en présence du ministre du Transport,
Amar Ghoul, et du wali d'Alger, Abdelkader Zoukh, de la navette maritime
"Capitan Morgane" reliant le centre d'Alger à El Djamila, à l'ouest.
Une balade censée se faire en trente minutes mais qui a tourné à la foire d'empoignes et à l'anarchie.
Cinq traversées quotidiennes (trois dans la
matinée, deux le soir), six jours sur sept - l'équipage italien se
reposant le dimanche- : tel est le programme prévu pour le bateau affrété par l'Entreprise nationale de transport maritime des voyageurs (Algerie Ferries).
Le programme, valable du 5 août au 7 septembre
2014, peut, dit-on, être perturbé en cas de mauvaises conditions
météorologiques. Mardi 5 août, il était bien perturbé et pour bien
d'autres raisons que les conditions météo trop "idéales", avec une
chaleur écrasante sous un ciel bleu, sans nuages.
Premier jour, des retards
"Capitan Morgan", ligne pilote de transport
urbain maritime de voyageurs, a été assailli par de nombreux algérois
qui voulaient être les "premiers" à s'offrir une balade maritime, cette
"nouveauté" tant annoncée par le passé. A 11 heures, le bateau n'est pas
encore à quai !
Premier constat, à l'entrée de Tahtahet El Fenanine (Esplanade des artistes), aucune indication signalant la gare de transport maritime urbain.
Au guichet, la file est moyenne et on
s'acquitte paisiblement des 50 dinars pour l'achat du billet. De
nombreux "curieux" avaient attendu l'arrivée du bateau en se baladant au
niveau du port, devenu accessible. On regarde les pêcheurs s'affairer
autour de leur filets sous "l’œil" de plusieurs caméras des chaînes
algériennes "off-shore", venues immortaliser l’événement.
A midi, le "Capitan Morgan" n'est toujours pas à
quai. Invisible à l'horizon aussi. Un guichetier annonce que les
tickets manquent.
Près d'une trentaine de minute plus tard, le
bateau se pointe au large. Frémissement dans la foule, on se bouscule
pour se positionner à l'endroit réservé entre chalutiers et sardiniers
en rade. "Mwalfine b'les bus, (ils sont habitués aux bus)", commente méchamment un jeune homme.
12h30 : le bateau baisse le pont pour permettre
le débarquement des passagers arrivés de la Madrague. Premier couac,
une dizaine de ces passagers refusent de descendre et veulent revenir à
leur point de départ.
Longues discussions. L'équipage, à majorité
italien, parvient à les convaincre de descendre et d'aller acheter un
autre ticket pour le "retour".
Mohamed, agent de sécurité, sent que les choses
se compliquent. Et pourtant, dit-il, la "navette de 8h00 s'est très
bien déroulée. On n'a eu aucun incident. il n'y avait que 87 personnes à
bord".
Mais midi n'a rien à voir avec le matin. Il
sent le débordement dans l'air. "Nous ne sommes que cinq, on a demandé
du renfort pour mieux faire notre travail. Il n'y a même pas de couloir
pour que la file soit mieux organisée".
Fawdha
De fait, une fois les passagers débarqués, les
membres de l'équipage tentent de retirer la passerelle en attendant
qu'une file d'attente, une "chaîne", s'organise pour avoir un
embarquement dans le calme.
"Ça ne marche pas", crie un membre de
l'équipage. Après 30 minutes et plusieurs tentatives manuelles et
automatiques, le problème est finalement résolu. Mais l'idée d'un
embarquement dans le "calme" est déjà enterrée.
C'est la "fawdha", l'anarchie, chez les
candidats à la balade. Des femmes qui crient, des enfants qui pleurent,
des personnes âgées qui gémissent. Le spectacle ressemble bien aux
fameuses bousculades pour l'accès au bus, par la "force des bras" et "en
hurlant".
Deux agents de sécurité épaulés par deux
policiers tentent, sans grande réussite, de contrôler le flux humain qui
force le passage. Des voix s'élèvent et réclament le droit de passer :
"Nous attendons depuis deux heures. Nous avons nos tickets, faites
nous-monter!"
Le commandant de bord voulait que les passagers
montent par groupe de cinq. Personne n'a prêté attention à ce qu'il
disait tantôt en italien tantôt en anglais. La gestion du flux, ou de la
"foule", relève du Port d'Alger.
A l'abordage!
Les passagers s'impatientent et tentent de
forcer le passage. Ils sont manifestement plus nombreux que les 344
places du "Capitan Morgan".
Des "insurgés" sautent par dessus la barrière
de la passerelle. On "desserre" le passage pour en finir avec ce
déchaînement. En quelques minutes, le nombre maximum de voyageurs requis
est atteint.
"Vous prenez la prochaine navette!", tente
d'expliquer l'un des deux policiers présents. Des hommes s'insurgent en
jurant, des vielles femmes "maudissent" les employés et l'organisation.
"On a cru bien faire de se ranger à côté pour
respecter l'ordre mais apparemment c'est la jungle", se désole Rabah,
père de deux enfants, venu en famille pour profiter de la baie d'Alger.
L'accès à bord est censé être interdit pour des
raisons sécuritaires aux enfants non accompagnés de moins de 16 ans. On
pouvait, cependant, voir des gosses de 10 à 14 ans se faufiler au
milieu de la foule pour être aussi de la partie.
Souad, une petite fille de 13 ans pleure et
cherche son "grand frère", Saleh, 14 ans, disparu parmi les centaines de
personnes "déterminées" à prendre une place à ce voyage.
Saleh est finalement bien monté à bord. On a pu le voir plus tard, en
larmes, chercher sa sœur restée à quai. Des familles et groupes d'amis
séparés entre le quai et le bateau tentaient de se rassembler en montant
ou en descendant.
À quatorze heures, nous avons quitté le gare, laissant derrière nous un "Capitan Morgan" toujours immobile.
Le guichet avait rouvert pour rembourser les tickets des "malheureux" qui n'avaient pas eu la chance de trouver une place pour la traversée vers El Djamila.
Sources : http://www.maghrebemergent.com/actualite/maghrebine/item/39732-les-debuts-de-la-navette-maritime-alger-la-madrague-desordre-bousculade-et-deception.html